12 juillet 1892

Catastrophe de Saint-Gervais


Une coulée de boue détruit la station thermale et fait plus de 200 victimes.

1892_07_12

Cet épisode a touché le département de Haute-Savoie.

Voici des extraits de l’article de M.Guichonnet. (Direction des Archives Départementales à Annecy).

"Il y a un siècle, la vallée de Montjoie était ravagée par une terrifiante crue du Bonnant, qui anéantissait l’établissement thermal de Saint-Gervais.

Cette inondation, causée par la rupture d’une poche d’eau à l’intérieur du glacier de Tête-Rousse était, avec au moins 175 victimes, la plus grande catastrophe naturelle des temps historiques, si l’on excepte l’onde dévastatrice du Léman, en 563, due à l’éboulement de la montagne valaisanne de Tauredunum et la chute du Mont Granier qui, le 29 novembre 1248, aurait fait plus de 5000 morts, en écrasant plusieurs villages, à l’emplacement des Abymes de Myans.

La soudaineté du cataclysme remplira la population de stupeur. Vers une heure du matin, le 12 juillet, la paroi terminale du glacier de Tête-Rousse se rompt, libérant une poche d’eau intérieure, qui s’écoule vers l’aval.

Cette catastrophe, demeurée célèbre dans l’histoire des Alpes, a suscité un grand nombre d’études scientifiques, qui ont permis d’en reconstituer la genèse.

Ce petit glacier, d’une trentaine d’hectares avait, jusque là, peu attiré l’attention et il ne figurait pas sur les cartes, avant le XIXe siècle.

Au pied de l’Aiguille du Goûter, c’était un affluent nord du grand glacier de Bionnassay, qu’il dominait d’environ 90 mètres. Appareil "de plateau", comme disent les géographes, sa pente était faible et, autre singularité, il était dépourvu du torrent sous-glaciaire qui évacue les eaux de fonte.

Cette anomalie s’explique par le creusement, qui avait excavé une énorme poche intérieure, derrière une barre de schistes cristallins durs, formant barrage.

Le temps, très chaud et pluvieux, fit grossir la masse liquide qui, débordant le seuil, fit éclater la paroi frontale dominant à 3150 mètres le couloir Bossoney. La masse d’eau et de glace pulvérisée qui va se liquéfier, a été estimée à 200 000 m3.

Pour se faire une idée du volume, c’est 22 000 fois le débit moyen du Thiou à Annecy, 10 640 fois celui de la Dranse à Thonon, ou 2200 fois celui de l’Arve, à son confluent avec le Rhône. Le flot s’abat presque verticalement sur une pente de 59 à 78 %, affouillant les moraines et emportant des blocs de plusieurs tonnes.

Vers 1750 mètres, dans la zone des alpages, il ravine les terrains jusqu’à la roche en place, arrachant la terre et les gazons, puis les arbres. Dévalant du versant des Rognes, il vient frapper, avec une violence inouïe, la moraine de Bionnassay.

C’est alors ce que les géologues nomment une "lave torrentielle", mélange de plus en plus dense d’eau, de graviers, de rocs, de terre et d’arbres qui emprunte le cours du torrent de Bionnassay, …

Plusieurs barrages temporaires se forment, emportés ensuite par une débâcle et faisant monter le niveau de 50 mètres. Très rapidement, la lave atteint un volume d’un million de m3 !

A 1780 mètres, le flot encore très liquide, a une vitesse de 14 m/s (50 km/h). Il s’épaissit au fur et à mesure de sa descente, ce qui ralentira sa progression, laquelle conserve néanmoins une force extraordinaire qui emporte tout sur son passage.

Six minutes suffiront pour balayer l’établissement thermal.

Dans la section supérieure, la lave ne provoque pas de dégâts aux habitants et à leurs demeures. Après avoir enlevé le moulin de Monnerey, elle écrase 11 maisons du village de Bionnay, au confluent avec le Bonnant, ne faisant que 3 victimes car, heureusement, la plupart des gens sont à leurs alpages.

La coulée s’étale ensuite dans le cours du Bonnant, avant de reprendre vigueur dans la section étroite, de Saint-Gervais au Fayet. Elle détruit le vieux pont romain et monte à 30 mètres de haut sous l’arche du nouveau Pont du Diable, puis s’engouffre dans la gorge des Bains.

Après avoir fait sauter plusieurs barrages temporaires, la lave bondit par-dessus la cascade de Crépin et frappe de plein fouet l’établissement thermal, anéantissant six bâtiments sur huit, enterrant à demi les autres sous les débris et causant la mort de 130 personnes. La lave, qui avait déposé l’essentiel de sa charge de blocs, avait perdu de sa puissance. Elle franchit le pont du Fayet à la hauteur de l’usine électrique puis s’étala, sur 75 hectares, dans la plaine, après avoir démoli 8 maisons et tué 12 personnes."