Novembre 1840

Crue majeure du Rhône


En novembre 1840, le Rhône connait une crue majeure, qui reste encore une référence aujourd\’hui. Avec celle de mai 1856, ce sont les 2 crues du fleuve les plus fortes du XIXème siècle.

1840_11_03

Crue majeure du Rhône

En novembre 1840, le Rhône connait une crue majeure, qui reste encore une référence aujourd’hui. Avec celle de mai 1856, ce sont les 2 crues du fleuve les plus fortes du XIXème siècle.

Les références qui suivent (relayées par D. Duband de l’EDF), sont extraites de la thèse de Maurice Pardé (les débits fournis doivent être considérés avec précaution : ils donnent cependant un excellent ordre de grandeur de l’ampleur du phénomène) :

Repère de la crue du Rhône de novembre 1840 dans une rue d’Avignon (Vaucluse).
On le trouve sur l’église située rue Jean Henri Fabre, derrière l’Office du tourisme de la rue de la République.
(Photos Météo-France, T. Alizert)

"La plus forte crue connue au XIXe siècle sur le Rhône moyen et inférieur est sans conteste celle du 3 novembre 1840 ; elle a atteint 5500 m3/s à Givors, 9500 m3/s au Teil et 13000 m3/s à Beaucaire avec une crue de 3000 m3/s provenant de la Durance à Pont-Mirabeau. En seconde position arrive la crue du 31 mai 1856 (de nombreux fleuves et rivières ont subi des crues concomitantes dans une bonne partie de la France). On a observé 6000 m3/s à Givors, 9500 m3/s au Teil avec 2600 m3/s pour l’Isère et 12500 m3/s à Beaucaire avec une contribution de 2200 m3/s de la Durance."

Un retour sur la prodigieuse crue de novembre 1840 est donc indispensable. Les lignes qui suivent sont extraites de l’ouvrage de Maurice Champion : " Les inondations en France du VIe siècle à nos jours ", paru en 1858 et réédité en 2000 par le Cemagref dans le cadre de la Décennie Internationale de la Prévention des Risques Naturels. Les crues du Rhône occupent à elles seules un tome entier sur six !
- Voir les livres de Maurice Champion, accessibles sur le web

" … L’année 1840 fut, pour les populations riveraines du Rhône et de la Saône, comme de la plupart de leurs affluents, une époque des plus calamiteuses : les eaux débordées exercèrent partout d’épouvantables ravages. Le souvenir de cette grande catastrophe publique est encore présent à la mémoire populaire…

… De toutes les villes victimes du fléau, la plus importante comme la plus cruellement éprouvée fut Lyon, déjà tant de fois ensevelie sous les eaux…

… Le Rhône, grossi par des pluies continuelles tombées pendant les derniers jours d’octobre, et par la fonte des neiges qu’avait déterminée une température d’une douceur extrême, avait atteint, le 30 de ce mois, une hauteur presque égale à celle où il était arrivé en 1812…

… Dans la nuit du 30 au 31, à 2 heures du matin, le Rhône, continuant à croître, rompit la digue en terre, construite en 1837, pour garantir de ses irruptions la ville de la Guillotière, et se précipita par torrents dans les rues des Brotteaux. Cette nuit fut horrible, et au point du jour on reconnut avec effroi que déjà un assez grand nombre de maisons avaient été renversées par la violence des eaux, et qu’un plus grand nombre encore était sur le point d’être abattues à leur tour…

… La ligne de flottaison du Rhône surpassait de 0m,35 les plus hautes eaux connues, celles de 1812…

… Dans la nuit du 3 au 4, la Saône, après avoir atteint les points culminants de l’espace qui la sépare du Rhône, menaçait de se précipiter dans ce fleuve rentré complètement dans son lit. Franchissant le quai des Célestins, elle couvrit la place Bellecour jusqu’à la hauteur de 1m ou 1m,30, et elle vint établir, par la rue Saint-Dominique, une communication avec les eaux dont elle inondait la place de la Préfecture et celle des Célestins. Jamais un pareil désastre n’avait affligé la ville de Lyon : aussi, à cette nouvelle, la consternation fut universelle ; chacun était agité des plus funestes pressentiments ; ils ne se réalisèrent que trop…

… Cependant les eaux du ciel continuaient à se précipiter avec une violence désespérante, et la partie basse de la ville était dévastée par les eaux de la Saône…

… C’était le lendemain seulement que la Saône devait atteindre sa plus grande élévation ; et comme la pluie continuait à tomber, l’anxiété de la population était extrême…

… A la fin de la journée du 5 novembre, le mouvement de décroissance, quoique presque insensible, n’était plus douteux. La Saône continuait lentement à décroître, et laissait voir successivement sur ses rives et dans les rues les ravages qu’elle avait causés…

… Une quantité considérable de maisons avaient été ébranlées ou lézardées. Les dommages consommés par l’inondation étaient immenses…

… Si les eaux débordées du Rhône et de la Saône vinrent jeter la ruine et la consternation dans la ville de Lyon, ces deux rivières exercèrent également d’immenses ravages sur tout leur parcours. Tous leurs affluents, comme tous les cours d’eau qui alimentent ceux-ci, éprouvèrent simultanément des crues prodigieuses ; les moindres ruisseaux grossirent dans des proportions extraordinaires…

… Dans le Haut Rhône, entre Genève et Lyon, le fleuve atteignit partout une hauteur à laquelle on ne se souvenait pas l’avoir jamais vu…

… A Mâcon et dans ses environs, l’inondation ne fut pas moins désastreuse…

… La nuit du dimanche au lundi fut affreuse ; la moitié de la ville de Macon était envahie. On n’entendait que cris et lamentations. Le tocsin qui retentissait dans toutes les communes de la Bresse, le bruit des maisons qui s’écroulaient, l’obscurité produite par le manque d’éclairage, les conduits du gaz étant obstrués, les mugissements des eaux, jetaient dans l’âme un sentiment d’horreur impossible à dépeindre...

… Les environs, dans le département de l’Ain, ont été ravagés à tel point, qu’à peine reste-t-il une ou deux maisons debout pour attester qu’autrefois des villages prospères s’élevaient où ne se remarque aujourd’hui qu’un amas de ruines…

… Cette inondation extraordinaire de la Saône ne peut être attribuée, d’après l’ingénieur en chef Laval, qu’aux causes suivantes : à la continuité presque absolue des pluies tombées pendant vingt-huit jours, en septembre et octobre, dans le bassin de la Saône, et par une douce température ; à l’imbibition totale du sol de ce bassin jusqu’aux couches imperméables, et à la fonte subite et presque instantanée des neiges amoncelées sur le Jura, vers les sources du Doubs et de ses affluents…

… De Lyon à la mer, la crue du Rhône atteignit partout des proportions colossales ; les deux rives du fleuve furent ravagées avec une violence, non pas sans exemple, mais au moins très rare…

… Givors, la première ville au dessous de Lyon, eut non seulement à souffrir du Rhône, qui submergea toute sa partie basse jusqu’à 1m d’élévation, mais encore du Gier. Cette cité industrielle éprouva des pertes considérables : trente maisons s’écroulèrent ; de graves avaries endommagèrent le canal, et la population ouvrière, si nombreuse, se trouva réduite à la plus affreuse détresse. A Vienne, la Gère, plus que le Rhône, fut terrible dans son débordement…

… La population presque entière de Tain a déménagé et s’est réfugiée dans les environs, sur les hauteurs. Sur toute la route de Paris et de Lyon, en amont et en aval de Tournon, une multitude de maisons se sont écroulées…

… La population de Tain, cernée par les eaux, se trouva dans la plus affreuse situation ; le pain manquait, et l’on fut obligé, au moyen de convois militaires, d’en expédier de Valence, où l’inondation sévissait également avec intensité…

… L’inondation à Avignon prit les proportions d’une véritable catastrophe…

… Le mardi 27 octobre, le Rhône était encore très bas ; la navigation était interrompue pour la plupart des bateaux à vapeur. Une longue sécheresse arrêtait les travaux de l’agriculture. Cependant l’abaissement du baromètre annonçait un changement de temps. Le vent de sud-est qui nous amène ordinairement la pluie commençait à souffler. Dans la nuit du 27 au 28, la pluie tombe par torrents, et le Rhône augmente. Le 29, ses eaux pénètrent dans la ville. Le 30, il continue à croître, et le 31, il atteint déjà la hauteur de l’inondation de 1827. Le dimanche 1er novembre, une légère baisse dissipe toutes les appréhensions qu’on aurait pu concevoir. Dans la nuit du 1er au 2, les choses changent. Le Rhône ne cesse de croître toute la journée du 2 avec assez de lenteur, mais le soir à 8 heures, sa marche devient si rapide qu’elle surprend tout le monde, et surtout les maisons que les eaux de 1755 avait respectées…

… On ne connaît pas d’exemple d’une inondation aussi longue et par là même aussi désastreuse. Nos remparts, que tant de gens voulaient abattre comme de vieilles ruines gothiques, comme un obstacle à l’embellissement de nos boulevards, ont préservé la plupart de nos maisons d’une ruine totale, en opposant une digue à l’impétuosité du fleuve ; ils ont été le chemin de salut pour tous ceux qui habitaient dans leur voisinage, et sont restés presque le seul moyen de communication avec les contrées environnantes. Sans les remparts, il eut été impossible d’arriver au Pont de bois, et de recevoir les vivres qui nous venaient en bateaux. Les portes de la ville dégorgeaient une masse d’eau qui se précipitait par ces ouvertures avec un fracas épouvantable… La hauteur à laquelle le fleuve s’est élevé est effrayante ; sous le pont Saint-Bénezet, ses eaux couvraient tous les éperons et entraient dans la chapelle construite sur la deuxième pile. Un quart des maisons de la ville a eu de l’eau au premier étage, près des neuf dixièmes dans le rez-de-chaussée, à diverses hauteurs…

… Au-dessous d’Avignon, les eaux de la Durance contribuèrent à augmenter encore la crue formidable du Rhône. Le fertile territoire de Barbentanne, situé au confluent des deux rivières, fut entièrement ravagé…

… Les fermes et maisons de campagne furent envahies et cernées de toutes parts par les flots réunis du Rhône et de la Durance. Depuis le 30 octobre jusqu’au 20 novembre, nous n’avons cessé d’être dans l’eau, qui fut croissant pendant cinq jours et cinq nuits...

… Du haut de la montagne sur laquelle est situé Barbentanne, l’œil attristé ne découvre çà et là que des fermes, des maisons de campagne, des murs d’enceinte écroulés, des arbres abattus, des ravins profonds, des monceaux de sable, des tas de graviers, et dans le limon, gisent des bestiaux, des meubles, des denrées de toute espèce. Le bouleversement a été général et la dévastation complète. En certains endroits, la Durance ayant fait irruption par mille crevasses aux chaussées, a vomi des cailloux et a recouvert une grande partie du territoire d’une couche de sable qui n’a pas moins d’un mètre d’épaisseur ; ces terres ainsi ensevelies sont à jamais stériles. De l’autre côté du Rhône, sur la rive droite, la petite ville d’Aramon fut envahie par le fleuve, qui roulait ses flots dans les rues. Les digues et une partie du quai furent emportés ; le sol étant en contrebas, l’impétuosité des courants fit de grands ravages. La plaine n’était plus qu’un vaste lac ; les eaux s’étendirent à 8 lieues dans les terres. Tarascon et Beaucaire, dans ces tristes journées, furent en proie aux plus horribles maux ; ces deux villes furent entièrement submergées…"