23 septembre 1890

Inondations en Cévennes - Crue historique de l’Ardèche


En matière de pluviométrie exceptionnelle, l’épisode de septembre 1890 constitue, pour l’Ardèche, la référence principale. Les crues que subirent les rivières à cette occasion demeurent, depuis plus de cent ans, les plus fortes jamais observées.

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Il a été mesuré 971 mm à Montpezat (Ardèche) en 5 jours (du 19 au 23 septembre 1890).

Monsieur Henry Vaschalde a largement décrit le phénomène, tant du point de vue de l’observateur météorologique, qu’il était à l’établissement thermal de Vals-les-Bains, que de celui du chroniqueur ardéchois.

Voir les photos des dégâts sur l’Ardèche et dans le Gard suite aux inondations de septembre 1890,
compilées par l’Université de Montpellier II sur le site de la Photothèque Flahault :
https://www.biu-montpellier.fr/patrimoine/explorer-les-collections/fonds-flahault

C’est grâce à son récit que l’on peut reconstituer la chronologie de l’épisode, lequel s’est produit en deux temps (Source : Inventaire des épisodes de pluies en Ardèche, 1807-1994) :

- les fortes pluies orageuses commencent dans la nuit du 19 au 20 septembre. Elles se poursuivent, sans faiblir, jusqu’au matin du 22 (vers 8 heures).

Dans cette première phase, elles touchent surtout, semble-t-il, l’Ardèche méridionale. Vals-les-Bains aura reçu 339 mm d’eau pendant environ 54 heures.

- après une accalmie dans la journée du 22, les orages reprennent la nuit suivante, en affectant, cette fois-ci, de façon privilégiée, le nord du département.

Voici les extraits des observations de M. Vaschalde :

"A Vals les Bains, la pluie commença à tomber le 18 septembre, mais c’était une pluie fine.

Dans la nuit, l’orage éclata, et le 19 à 6 heures du matin, le pluviomètre de l’Etablissement Thermal avait reçu 22 mm d’eau.

Il plut abondamment le 20 et le 21 : il tomba, en moins de 30 heures, 175 mm d’eau. Le vent du sud-est soufflait assez fort.

Le lundi 22, à 5 heures du matin, la pluie tombait à torrents (164 mm d’eau dans la nuit du 21 au 22 septembre). La Volane montait avec une effrayante rapidité. A 7 heures, les eaux montaient toujours. Elles commencèrent à baisser vers 8 heures.

Dans la nuit du 22 au 23, un orage épouvantable s’abattit encore, au point de faire craindre de nouveaux désastres. La Volane et l’Ardèche montèrent à un niveau très élevé. C’est au cours de cette nuit que la Canse et la Deume firent de grands ravages à Annonay.

La crue du 22 s’était arrêtée dans la soirée, avec l’accalmie qui s’était produite, et l’on espérait en être quitte pour un moment de crainte. Mais tout le mal devait se produire à la suite de la pluie torrentielle de la nuit du 23. A 4 heures du matin, une trombe d’eau, tombée sur les montagnes, arrivait jusqu’à Annonay."

A noter qu’entre le 18 septembre et la matinée du 23 (soit en 5 jours), il serait tombé 971 mm à Montpezat.

Toutes les rivières du département se mirent en crue, et atteignirent des niveaux records : 9 m pour le Chassezac aux Vans ; 7,50 m pour la Beaume à Joyeuse ; 8 m pour la Cance à Annonay (le 23 à 4 heures du matin) ; 17,30 m pour l’Ardèche à Vallon Pont d’Arc.

Quant à cette extraordinaire crue de l’Ardèche, M. Vaschalde témoigne :

" A Vallon, le 20 septembre, à 6 heures du soir, les eaux de l’Ardèche mesuraient 4,80 m à l’échelle du pont suspendu.

Le lendemain dimanche, à 2 heures du matin, eut lieu le maximum de cette première crue : 12,10 m. Les eaux, baissant d’une manière continue, ne mesuraient plus que 6,60 m à 4 heures du soir. Mais le temps restait menaçant ; les éclairs se succédaient sans interruption dans la nuit du 21 au 22.

Le 22 septembre, à 6 heures du matin, l’Ardèche mesurait déjà 9,10 m ; à 8 heures, la crue atteignait 13 m, et vers midi 17,30 m. Son lit de Vallon à Salavas, avait une largeur de 800 à 900 m. Elle débitait environ 10000 mètres cubes par seconde.

Au Pont d’Arc, la crue a dû atteindre 21 m… "

Les dégâts furent considérables. Sur le seul bassin de l’Ardèche, 28 ponts furent emportés. Le réseau routier souffrit énormément. Les destructions furent innombrables. On compta une cinquantaine de morts…

Il est frappant de constater l’étendue géographique de la catastrophe. Peu de régions furent épargnées car, si le bassin de l’Ardèche fut terriblement affecté le 22, les vallées du haut Vivarais souffrirent à leur tour le 23.

Le récit de M. Vaschalde dresse, commune par commune, un inventaire saisissant des sinistres :

"A Aubenas, toutes les récoltes sont perdues, les jardins, les prairies, les vignes sont couverts par 1,50 m à 2 m de sable ou de limon…

Dans le faubourg du Pont, pas un magasin n’est épargné, quatre maisons se sont écroulées, l’une d’elles entraînant une personne…

La route nationale 102 est effondrée depuis Labégude jusque au-dessus de Malpas…

A Pont de Labeaume, une famille de huit personnes a disparu dans les décombres de sa maison. Le pont de Rolandy, construit en 1858, de façon à défier les plus terribles crues, a été anéanti, ses débris ont été retrouvés 400 m plus bas…

A Thueyts, cinq maisons ont été détruites par le torrent de la Farre…

A Lasouche, la maison d’école, la mairie, tous les moulins, ont été emportés. Un jeune homme a disparu. Vingt-trois maisons se sont effondrées…

A Burzet, deux ponts ont été emportés…

A Montpezat, deux usines à soie ont été emportées, en même temps qu’un moulin. Une femme et un enfant ont été noyés. A Mayres, les désastres sont épouvantables…

La commune de Valgorge a été une des plus cruellement éprouvées : six personnes disparues, dix-sept maisons emportées, chemins affreusement ravinés, ponts coupés, dégâts considérables dans la plupart des propriétés…

Les effets de l’inondation ont été terribles dans les villages de St.Martin (huit maisons emportées, trois enfants disparus) et Chastanet (huit maisons détruites, quatre victimes). La Beaume a complètement détruit le pont de Sarabasche…

Aux Deux-Aygues le pont de Molines a été détruit…A Thines, au village des Amets, quatre maisons se sont écroulées ensevelissant deux enfants…

La commune de Chambonas a été particulièrement dévastée…
A Joyeuse, la route nationale 104 a été coupée pendant trois jours. Toutes les vignes, prêtes à vendanger, ont disparu.

A Rosières, le cadavre d’un enfant a été trouvé dans l’écluse d’un moulin…

A Vogüé, le pont suspendu a été complètement détruit. Les eaux ont emporté deux maisons, un moulin, six granges. Deux cadavres inconnus ont été trouvés au quartier des granges…

A Chauzon, le cadavre d’une femme inconnue a été arrêté sur la rive gauche de l’Ardèche. Les communes de Grospierres, Calteljau, Beaulieu ont été ravagées.

A Flaviac, les eaux de l’Ouvèze ont emporté un pont, et entraîné un homme. Le pont de St.Laurent du Pape, sur l’Erieux, a été emporté. Il datait des Etats du Vivarais et avait supporté les crues de 1827, 1846 et 1857. De Beauchastel au Cheylard, les dégâts sont énormes. L’établissement thermal de St-Georges les Bains a été détruit en partie.

A St-Peray, le mardi 23, les deux rivières qui traversent la commune (Merdary et Miallan) ont débordé vers 5 heures. A Satillieu, dans la nuit du 22 au 23, le Nor, qui descend de St-Symporien, a tellement grossi la rivière d’Ay que celle-ci a changé une partie de son lit, ravageant affreusement tous les lieux qu’elle traverse.

La localité d’Annonay a été peut-être la plus gravement éprouvée du département, en raison des deux cours d’eau torrentiels qui la baignent (la Deume et la Canse) et des importantes usines que ces rivières desservent sur leurs bords. Les dégâts sont considérables, l’eau montait au premier étage des maisons, les bords de Canse sont ravagés, plusieurs cadavres ont été vus flottant sur l’eau. La vallée de la Vocance a été très éprouvée. De Villevocance à St.Julien-Vocance, tous les ponts et passerelles ont été emportés.

A Tounon, les dommages les plus graves ont été causés par la crue subite du Doux. La ligne de chemin de fer en construction, de Tournon à Lamastre est détruite en plusieurs endroits. Plusieurs ponts se sont écroulés ".

- Télécharger l’Inventaire des épisodes de pluies en Ardèche, 1807-1994, tomes 1 et 2, réalisé par Météo-France, Centre départemental de l’Ardèche, avec l’aimable autorisation du Conseil Général 07

- Lire aussi sur cet événement cet extrait (pages 109 et 110) du Mémorail n°43 de la Météorologie Nationale "Recherches sur le climat du Massif Central français, par Pierre Estienne(1956).


A 100 km de là, l’Hérault a connu également une crue remarquable : 1890 est la date la plus haute - au-dessus de 1958 - figurant sur l’échelle de crues gravée sur le pignon de l’église à Laroque (près de Ganges, dans la haute vallée de l’Hérault).
(Photos Météo-France V. Jacq)