Mai 1856

Une crue majeure du Rhône


En mai 1856, le Rhône connait une crue majeure, qui reste encore une référence aujourd’hui. Avec celle de novembre 1840, ce sont les 2 crues du fleuve les plus fortes au XIXème siècle.

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En seconde moitié du XXe siècle, la construction de nombreux aménagements sur le Rhône a permis de maîtriser un bon nombre de crues. Mais le fleuve a connu plusieurs fois des débits importants près de son embouchure à Beaucaire.

Repères des 2 crues majeures du Rhône à Avignon (Vaucluse) en mai 1856 et le 4 novembre 1840, plaque située sur la porte de la Ligne au nord de la ville. (Photos Météo-France)
Repères des crues de 1856, 1840 et 1887 sur le mur de la mairie de Caderousse (Vaucluse). Le repère de 1856 se situe à 3,3 m au dessus du sol. (Photo Pierre Allard).
Dans cette ville d’autres repères sont également visibles près du cimetière (sur le mur extérieur et à l’intérieur de la chapelle) et rue du passeur, dans le quartier Pelory.
Repères de crue à Boulbon (Bouches-du-Rhône) sur la colonne située près de la salle Garavand. Tout en haut la trace de 1856. (Photo Pierre Allard).

Les références qui suivent (relayées par D. Duband de l’EDF), sont extraites de la thèse de Maurice Pardé (les débits fournis doivent être considérés avec précaution : ils donnent cependant un excellent ordre de grandeur de l’ampleur du phénomène) :

"La plus forte crue connue au XIXe siècle sur le Rhône moyen et inférieur est sans conteste celle du 3 novembre 1840 ; elle a atteint 5500 m3/s à Givors, 9500 m3/s au Teil et 13000 m3/s à Beaucaire avec une crue de 3000 m3/s provenant de la Durance à Pont-Mirabeau. En seconde position arrive la crue du 31 mai 1856 (de nombreux fleuves et rivières ont subi des crues concomitantes dans une bonne partie de la France). On a observé 6000 m3/s à Givors, 9500 m3/s au Teil avec 2600 m3/s pour l’Isère et 12500 m3/s à Beaucaire avec une contribution de 2200 m3/s de la Durance."

Un retour sur cette prodigieuse crue de mai 1856 est donc indispensable.

Les lignes qui suivent sont extraites de l’ouvrage de Maurice Champion : " Les inondations en France du VIe siècle à nos jours ", paru en 1858 et réédité en 2000 par le Cemagref dans le cadre de la Décennie Internationale de la Prévention des Risques Naturels. Les crues du Rhône occupent à elles seules un tome entier sur six !

- Voir les livres de Maurice Champion, accessibles sur le web

"... En même temps que la continuité des pluies, dans le mois de mai 1856, faisait gonfler la Loire et ses affluents, le Rhône et la Saône subissaient pas la même cause, un exhaussement considérable. Dès le 16 mai, on écrivait de Lyon : "La crue de la Saône a pris des proportions alarmantes, et qui rappellent l’inondation de 1840…"

… Les nouvelles ultérieures faisaient connaître les progrès de la crue simultanée du Rhône et de la Saône…

… Les avis reçus de la vallée supérieure de la Saône annoncent qu’elle s’est transformée en un vaste lac ; toutes les voies de communication sont interceptées, et les récoltes sont en partie perdues. On a quelques craintes pour le chemin de fer de Paris à Lyon, bien qu’il soit établi partout au-dessus du niveau des eaux de 1840. La voie ferrée de Lyon à Saint-Etienne est impraticable depuis samedi…

… Dans la nuit du 21 au 22 mai, la Saône commença son mouvement de décroissance, et quelques jours après, elle avait repris son régime calme et paisible. Partout ses affluents avaient débordé et les journaux des départements de Saône-et-Loire, de la Haute-Saône, du Doubs et de l’Ain, donnaient les plus tristes détails sur les ravages des eaux. Entre Lyon et la mer, la crue du Rhône fit sur plusieurs points quelques dégâts…

… A Valence, pendant toute la journée (du 18 mai), les eaux étaient d’une rapidité et d’un volume remarquables. Une partie des quais et quelques maisons ont été inondés.

A Avignon, l’île de la Barthelasse a disparu sous les eaux, et le Rhône, refluant par les nombreux canaux souterrains et débordant par les quais, a envahi une grande partie de cette ville. Il en est de même à Beaucaire et à Arles. Ces inondations d’un caractère déjà très sérieux, comme on voit, n’étaient hélas ! que le prélude d’un effroyable cataclysme. Au moment où les populations reprenaient courage et sécurité, où, grâce à quelques jours de beau temps, elles croyaient tout danger passé, elles furent tout à coup en proie aux plus vives alarmes ; des pluies plus intenses encore que les précédentes faisaient partout exhausser le niveau des eaux et les rivières débordaient encore de tous côtés. Dès le 28 mai, l’autorité fit afficher, à Lyon, un avis portant que les nouvelles reçues du Haut-Rhône et de la Haute-Saône étaient des plus alarmantes et que tout faisait présager une crue égale, sinon supérieure, à celle du 16 mai. Ces craintes ne tardèrent pas à se réaliser en dépassant toutes les prévisions qu’on aurait pu concevoir.

Quelques extraits des journaux de Lyon suffiront pour faire connaître la marche, le progrès et les conséquences de l’affreuse catastrophe qui désola cette ville pendant plusieurs jours. 29 mai. "Une pluie torrentielle n’a cessé de tomber pendant 36 heures consécutives. Le Rhône et la Saône ont éprouvé une forte crue qui n’est pas arrivée à son terme : le premier charrie dans ses eaux limoneuses des débris d’arbres. La seconde a envahi de nouveau les parties basses des quais des Célestins et de Saint-Antoine - 30 mai, 3 heures. La pluie qu’on avait espéré voir cesser ce matin a repris et continué. La crue du Rhône est formidable. Déjà elle approche du niveau de 1840… 8 heures du soir. Le Rhône a atteint, à 7 heures, le niveau de 1840 et l’a même dépassé en entrant dans la rue Lafont et le café de la Perle… Vue des hauteurs de la porte Saint-Laurent, l’inondation des plaines de Miribel et de Vaux présente un aspect imposant par son immensité…

1er juin. Enfin nous sommes au terme de nos angoisses. Le Rhône qui a cru hier encore toute la soirée, a commencé à se retirer vers 9 heures du soir et sa décroissance a fait des progrès rapides ; ce matin, il avait rendu à la circulation bien des points envahis ; mais hier au soir, quel spectacle poignant ! La moitié de la ville était submergée

… Pendant que Lyon était ainsi exposé aux fureurs de l’inondation, toutes les contrées de la partie supérieure du bassin du Rhône se trouvaient également soumises aux ravages des eaux…

… Au-dessous de Lyon, les dévastations du Rhône sur les deux rives et dans toute l’étendue de son parcours jusqu’à la mer, prirent des proportions colossales. A Givors, la moitié de la ville fut sous l’eau, ainsi que la gare de chemin de fer de Saint-Etienne…

… A Vienne et dans ses environs, à l’inondation du Rhône, vint se joindre celle des plus petits cours d’eau…

… Du côté de Valence, les effets désastreux de la crue se firent sentir très violemment. On écrivait de cette ville : "Les riverains du Rhône sont depuis hier dans la plus affreuse désolation. A la suite d’une pluie diluvienne de 48 heures, notre fleuve a repris son mouvement ascensionnel avec une rapidité et une fougue effrayantes, qui rappellent les jours néfastes de 1840. Hier au soir, le Rhône n’était à Valence qu’à 5m. L’inondation est arrivée pendant la nuit, comme un torrent ; en quelques heures, les quais, l’arsenal, les rez-de-chaussée d’un grand nombre de maisons de la Basse-Ville et de toutes celles des jardins, des prairies et des îles, ont été submergés…

… Les nouvelles du nord et du midi sont désolantes ; d’Etoile à Montélimart, les plaines riveraines du Rhône ne forment presque sans interruption qu’un vaste lac…

… La crue du Rhône à Valence, fut de beaucoup augmentée par celle de l’Isère, qui s’éleva à un niveau extraordinaire. Les ravages de cette rivière et de ses affluents furent également très considérables…

… L’Isère, la Romanche et la Bourbre, se sont élevées à un niveau qu’elles n’avaient pas atteint depuis près d’un siècle, et ont fait partout d’affreux ravages. Depuis plusieurs jours, ainsi que le rapport de l’ingénieur en chef le dit, un vent chaud soufflant de sud-ouest, avait ramolli les neiges qui couvraient les sommets, et les pluies diluviennes des 29 et 30 ont déterminé la fonte sur toutes les montagnes. En quelques heures, les ruisseaux et les torrents ont crû d’une manière prodigieuse. Dans la vallée de l’Isère, en amont et en aval de Grenoble, depuis la frontière de Savoie, jusqu’aux bords de la Drôme, de larges brèches se sont ouvertes dans les digues et ont livré passage aux eaux ; l’immense et magnifique plaine du Graisivaudan, couverte de riches et abondantes récoltes, a été submergée en quelques moments, et s’est transformée en un lac tumultueux…

…Les 29, 30 et 31 mai, la Durance, considérablement grossie par les pluies continuelles, par la fonte des neiges et la crue des torrents, a rompu ses digues sur plusieurs points du département et a causé, sur presque tout son parcours dans les Hautes-Alpes, des désastres considérables...

… Dans les arrondissements d’Embrun et de Briançon et la partie nord de l’arrondissement de Gap, les autres torrents des Alpes ont occasionné des désastres semblables…

… Comme dans les grandes inondations précédentes et plus encore qu’en 1840, la ville d’Avignon, presque toute entière fut couverte par les eaux…

… La plaine du côté de Beaucaire est également inondée…

… La rupture de la chaussée de la Montagnette, située en amont de Tarascon, occasionna les plus grands malheurs…

… La belle et vaste plaine de Tarascon a eu ses récoltes entièrement perdues ; les récoltes de la partie basse des communes de Fontvieille, Paradou, Maussane et Mouriès l’ont été également ; les récoltes du sol de la commune d’Arles, compris entre le canal de navigation et la Crau, sur 40 kilomètres de longueur, ont éprouvé le même sort ; cette inondation s’est enfin prolongée jusqu’à la mer, au travers de la commune de Foz…

…"Par la suite, le Rhône connaîtra à nouveau des crues remarquables : octobre et novembre 1886, septembre 1890, novembre 1896, janvier 1899, septembre 1900, octobre et novembre 1907, janvier 1928, novembre 1935, novembre 1944, novembre 1951 et octobre 1958".