1966 Denise

Du 7 au 8 janvier 1966

Dans la nuit du 7 au 8 janvier 1966, le cyclone tropical DENISE, d’intensité modérée et de petit diamètre, aborde les côtes de La Réunion et traverse l’île du Nord-Est au Sud-Ouest. Il provoque de nombreux dégâts dus surtout aux pluies diluviennes recueillies dans les hauts pendant approximativement 24 heures.

Trajectoire de Denise

Formation et évolution

Le 3 janvier 1966, une perturbation amorcée la veille se creuse et atteint le stade de dépression tropicale, ce qui lui vaut d’être baptisée DENISE aux environs de 11,3°S et 75,5°E. On notera qu’à cette époque le baptême était effectué au stade de dépression tropicale, contre tempête tropicale aujourd’hui.

Le 4, DENISE continue de se creuser. Sur les Mascareignes, l’alizé se renforce.

Le 5, DENISE se creuse encore et atteint le stade de cyclone tropical. Il est centré vers 14,8°S et 65,4°E. Son déplacement vers l’ouest-sud-ouest se confirme et sa vitesse est à peu près constante.

Le 6, DENISE s’engage dans le triangle St-Brandon/Maurice/Rodrigues, se situant vers 17,5°S et 60,5°E. La baisse de pression s’accentue à La Réunion, où le courant de surface de sud-est se renforce. Le cyclone est d’intensité modérée et des vents de 100 à 110 km/h se rencontrent jusqu’à 200 km du centre dans le demi-cercle sud.

Le 7 janvier à 10h, le cyclone est centré aux environs de 19,5°S et 57°E. Son déplacement s’oriente vers le sud-ouest, mais sa vitesse diminue. DENISE passe à un peu moins de 100 km dans le nord-nord-ouest de Maurice, où à l’île Plate (île du Nord de Maurice) des rafales maximales de 170 km/h sont enregistrées. Compte tenu de cette trajectoire, La Réunion est directement menacée. De fait, le centre du cyclone abordera les côtes nord-est de l’île vers la région de Saint-André à 22h30 locale, traversant l’île et ressortant au sud-ouest entre l’Etang-Salé et Saint-Leu.
Au cours de l’après-midi, les vents sont de secteur est-sud-est modérés à forts sur les régions au vent. Ce flux prend une composante sud bien marquée entre Saint-Pierre et la Pointe au Sel, tandis que la partie de l’île comprise entre Saint-Leu et Saint-Denis est sous le vent et connaît un temps calme et lourd. Puis les vents, en se renforçant, commencent à atteindre le nord de l’île. Il est bon de signaler leur caractère très irrégulier. Ainsi à 22h20 le Chaudron subit des vents de 100 km/h avec une rafale à 180 km/h, alors que Saint-Denis ville, située à 5 km du Chaudron, mais plus abrité du flux de sud-sud-est, n’enregistre que des vents variables et faibles. D’après un témoin, les vents forts s’arrêtent à cette heure à la Ravine du Chaudron qui borde l’est de la ville de Saint-Denis. Quand le centre du cyclone aborde l’île, les vents deviennent effectivement variables et faibles sur le Nord, de Gillot à Saint-Denis. À partir de minuit les vents de nord-est s’établissent progressivement sur l’Est de l’île, puis à partir de 1h sur le Nord, de 4h sur l’Ouest et de 6h sur le Sud.

Le 8, DENISE est centrée à 10h vers 21,8°S et 54,2°E. Elle dirige sur la Réunion un flux de nord s’orientant progressivement à nord-ouest très pluvieux, avec des rafales de l’ordre de 80 à 100 km/h.

Le 9, DENISE plonge vers le sud, et le temps s’améliore rapidement à La Réunion.



Observation par le satellite TIROS X

Le cyclone a été photographié par le satellite américain TIROS X le 5 janvier à 7h12 TU. Un extrait du document reçu à Paris (Météorologie Nationale) par fac-similé du Weather Bureau des USA a été communiqué au Service Météorologique de La Réunion. Ce document, dont un extrait est reproduit ci-dessous, met en évidence l’étendue de la zone nuageuse liée au cyclone. Cependant, la position du centre (17°S 63°E) donnée à plus ou moins 2° est beaucoup trop au sud-est, compte tenu du flux de sud-est existant à proximité du point donné.

Néphanalyse Tiros X du 5 janvier 1966 à 7h12 TU



Prévision statistique

On notera qu’à l’époque, faute de modèle performant, la prévision de la trajectoire du cyclone s’est faite par analogie statistique avec de précédents cyclones. Bien qu’il soit certain qu’un cyclone ne suive pas en général des trajectoires similaires aux trajectoires précédentes (puisqu’il peut à chaque instant ralentir, se combler ou amorcer un recourbement), cette méthode quelque peu élémentaire a permis d’aviser la Préfecture du danger cyclonique parce que la trajectoire de DENISE présentait de plus en plus d’analogies avec celles du cyclone de 1948 et de JENNY (1962), qui ont tous deux atteint la Réunion. Les Services de Sécurité ont alors été mis en place le 6 à 18h, soit un peu plus de 24h avant le passage du cyclone.



Passage du cyclone sur La Réunion

Le cyclone DENISE aborde l’île à 22h30 entre Sainte-Suzanne et Saint-André et repasse en mer vers la Pointe au Sel vers 0h45 le 8, entre Saint-Leu et l’Etang-Salé. La vitesse de déplacement pendant la traversée de l’île est d’environ 25 km/h. Le centre passe par Hell-Bourg à 23h30, Cilaos puis Pointe au Sel. Le calme central dure à peu près 45 minutes, mais se combine souvent à des effets de relief. Ainsi certaines localités bénéficient d’un calme beaucoup plus long. Tel est le cas de la Pointe au Sel où ce calme dure de 0h30 à 6h15 le 8. Pour la même raison d’autres régions non situées dans la zone d’influence de l’œil, mais se trouvant sous la protection du relief, observent aussi une période de calme que certains attribuent au passage du centre.



Observation par le radar du Chaudron

Le 7 janvier à 10h sur l’écran radar, les premiers échos, assez peu organisés, apparaissent à un peu plus d’une centaine de kilomètres dans le nord-est de La Réunion. A 13h30 plusieurs bandes pluvieuses présentant une certaine convergence vers le nord-nord-est sont à une cinquantaine de kilomètres.

À 19h15 la perturbation apparaît pour la première fois dans l’ensemble de sa structure circulaire et le centre peut être déterminé avec précision par 20,4°S et 56,4°E. Sur l’image ci-dessous, on peut voir nettement l’œil du cyclone au nord-est du radar du Chaudron, ce dernier étant situé au niveau de la tâche noire dans le coin inférieur gauche. À partir de cet instant le déplacement de DENISE sera constamment suivi au radar.

Première vue complète du cyclone Denise à 19h15 par le radar du Chaudron

De 19h à 20h45 DENISE a une vitesse de 15 km/h et se déplace vers les côtes nord-est de la Réunion. Entre 20h45 et 21h45 la vitesse passe brutalement de 15 à 35 km/h. Cette dernière vitesse se conserve jusqu’à la pénétration du centre sur l’île. À partir de 21h un petit cercle de 18 km de diamètre apparaît nettement au centre de l’écho donné par la perturbation. Ce petit cercle a été pris pour l’œil du cyclone.

A 21h27, DENISE commence à se déformer et une boursouflure apparaît dans l’ouest-nord-ouest de la perturbation où la masse nuageuse semble se désagréger. À 21h52 la déformation du cyclone se poursuit, DENISE prend vaguement la forme d’un cœur dont la pointe est tournée vers l’est-nord-est. À 22h, DENISE semble se disloquer à l’approche de La Réunion. À 22h20, la dernière photo est prise avant la détérioration de l’appareil. Le cyclone a alors une structure complexe et une bande spiralée s’échappe du Sud de la perturbation en direction de l’ENE. Le centre du cyclone pénètre sur l’île à 22h30 entre Sainte-Suzanne et Saint-André.


Bilan des dégâts

On a déploré trois morts : deux par écrasement d’une maison sous un éboulis à La Montagne (Saint-Denis) et un par noyade à Saint-Joseph.

Les dégâts ont été causés principalement par les pluies. Les crues des torrents et ravines, creusant souvent de nouveaux lits, ont inondé certaines cités, à Saint-Denis notamment.

Le réseau routier a beaucoup souffert avec plusieurs radiers ou ponts endommagés. Les routes de Cilaos, Hell-Bourg et La Montagne ont été coupées.

Les dégâts aux cultures ont été importants sur les cultures fruitières et vivrières (pertes de 100% à proximité du passage du centre).

Dans un rapport de 1966 de la Météorologie Nationale, on évoquait quelques inquiétudes concernant l’éboulement de la Rivière des Remparts :
À la suite d’un éboulement dans le bras de Mahavel de la Rivière des Remparts, provoqué par les fortes pluies de la dépression ROSE en mai 1965, un barrage s’est formé dans cette rivière. La capacité de ce barrage est de 20 millions de m³ mais le sol fissuré du lit de la rivière des remparts permet l’évacuation des eaux de pluie recueillies en temps normal. Il y a cependant un risque de remplissage de ce barrage par pluies cycloniques et DENISE a donné sur le bassin versant de la rivière des remparts une quantité moyenne estimée à 650 mm. Le barrage, au matin du 8 janvier était pratiquement plein (17 millions de m³) et la surface du lac créé en quelques heures se trouvait à environ 3 m du sommet de la digue. La ville de Saint-Joseph, située à l’embouchure de la rivière des remparts, a ainsi échappé à un grand danger : un grand déversement des eaux par dessus la digue aurait très certainement provoqué le démantèlement du barrage. Un système d’alerte avait été mis en place, juste avant le cyclone et le préfet avait demandé aux habitants menacés de Saint-Joseph d’évacuer leur maison. À cette occasion, il y a lieu de rappeler que tout cyclone passant sur la Réunion, ou à proximité, risque de donner des pluies suffisamment abondantes pour remplir le barrage. Ce dernier se vide normalement par évacuation souterraine du lit de la rivière des remparts, au bout d’un mois et demi environ (à condition que de fortes pluies ne maintiennent pas le niveau).

Finalement, ce barrage s’est érodé avec le temps et le lac s’est vidé au fil des mois.


Bilan Climatologique

Les pluies provoquées par ce cyclone sont remarquables. La pluie maximale en 24 heures, déduite des enregistrements effectués, a été choisie souvent à cheval sur deux journées pluviométriques. La pluie maximale ainsi enregistrée à Foc-Foc (à proximité de la plaine des sables – Volcan) représente avec 1825 mm un des records de pluies recueillies à la Réunion.

Sur l’ensemble de l’épisode DENISE, qui reste court comparativement à la plupart des autres cyclones ayant frappé l’île, certaines régions, comme l’Est du cirque de Cilaos ou le plateau de Bélouve, ont recueilli plus de 2 mètres d’eau, alors que la côte ouest moins de 0,2 mètres et la côte sud-ouest de l’Etang-Salé à Manapany, encore moins.

Mais le fait remarquable est l’énorme quantité de pluie recueillie en 24 heures et en 12 heures, en certains lieux, chiffres qui sont parmi les maxima mondiaux connus jusqu’à présent. On retiendra 1825 mm en 24h à Foc-Foc, 1474 mm à Piton Tortue (Plaine-des-Cafres), ou encore 1250 mm à la station de la Plaine-des-Cafres de 16h le 7 à 16h le 8. L’enregistrement de cette dernière station, ainsi que la chronologie du passage de DENISE, mettent en doute que la mesure des 1825 mm de Foc-Foc soit une pluie quotidienne (de 7h à 7h le lendemain). Elle est aussi probablement à cheval sur les deux journées. Mais faute d’archive l’attestant on a laissé ces 1825 mm sur la seule journée du 7 pour la cartographie. Toujours est-il que la valeur de 1825 mm en 24h est bien réelle et constitue toujours un record mondial.


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Episode de 2 jours du 7 JANVIER 1966 au 8 JANVIER 1966
Pluies en 1 jour : 7 JANVIER 1966
Pluies en 1 jour : 8 JANVIER 1966